L'Art presque perdu de ne rien faire de Dany Laferrière

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Il y a longtemps que j'ai acheté ce livre et je me suis décidée dernièrement à le lire. Par contre je ne pense pas qu'il puisse compter pour le challenge bien que Art s'écrive avec une majuscule car le thème était : dont le titre contient un nom propre. Sinon ce sera un autre livre, mais certainement sur l'année prochaine car je viens d'attaquer le pavé de presque 750 pages de Philippe Jaenada.

Quatrième de couverture : La nonchalance est une affaire de connaisseur. "J'étais devenu un spécialiste mondial de la sieste", nous révèle Dany Laferrière dès le début de son livre. Cela n'interdit pas de lire et de réfléchir - la sieste y est, au contraire, propice. Elle permet aux pensées de jaillir, s'attachant aux petites et aux grandes choses, aux rêves et aux lectures. Dany Laferrière nous parle d'Obama et de l'Histoire, de ses premières amours nimbées d'un parfum d'ilang-ilang, de Salinger et de Borges, de la guitare hawaïenne, du nomadisme et de la vie - car cet Art presque perdu de ne rien faire est, ni plus ni moins, un art de vivre.

Dans ce livre, Dany Laferrière nous raconte tous les moments de notre vie qu'on passe à ne rien faire. Enfin, si, mais pas des choses utiles, mais finalement, peut-être les plus beaux moments : faire la sieste, dormir, voyager, lire, ...

J'ai beaucoup aimé, sauf la partie où il nous énumère et commente tous les auteurs qu'il a lus. C'était fastidieux. Je crois que j'ai lu ces passages pour dire que je les lisais, mais sans rien essayer de comprendre. Peut-être ai-je eu tort. Il y avait peut-être des choses très intéressantes.

J'ai noté quelques idées qu'il exprime : Autrefois les riches étaient gros et les pauvres maigres, aujourd'hui les riches sont maigres et les pauvres sont gros. Ou aussi : Selon Passilus, tant qu'on discute de langue ou de religion, c'est qu'aucune casserole n'est en train de brûler dans les affaires de l'État.

Il y a aussi cette dizaine de pages ayant pour titre : la Bible découverte par une journée de pluie. Quelques extraits : J'ai tenté de commencer par le début, mais ça remontait trop loin dans le temps pour un lecteur impatient comme moi. Je n'avais pas envie de me taper l'origine du monde. À quinze ans, on est trop pressé pour prendre les passages cloutés. J'ai eu juste le temps de remarquer du coin de l'oeil cette phrase si puissamment évocatrice qu'elle me trotte encore dans la tête plus de quarante-trois ans plus tard. La voilà : "Il y eut un soir, il y eut un matin ; ce fut le premier jour." Tout étonné d'apprendre que cela avait débuté le soir. Spontanément j'aurais cru que le monde avait fait son apparition un bon matin... Je me faisais un chemin à coups de machette dans cette jungle d'histoires à dormir debout, de fables, de devinettes, de nombres, d'individus pointilleux quant à leur arbre généalogique et de mystères impénétrables. Je traversais le touffu Livre des Rois en me promettant d'y revenir car j'avais débusqué là de juteuses histoires sexuelles. David ... Pourtant je sens des résonances contemporaines puisque c'est l'histoire d'une bonne partie des gens qui peuplent la planète. L'exil, l'émigration. La traversée du désert. Et c'est pour éviter qu'ils périssent tous dans le désert qu'on a dû édicter des règles d'hygiène et de diététique aussi strictes. Et une rigoureuse morale sexuelle pour prévenir des drames inhérents à cette promiscuité... Moïse avait la poigne dure durant la traversée du désert, et avait raison, mais après sa mort on aurait pu revoir tout ça, ne serait-ce que pour faire baisser la tension. J'ose à peine imaginer une situation aussi tendue. Des milliers d'hommes et de femmes affamés de tout, poursuivis par l'armée d'un pharaon ivre de vengeance, et à qui on empêche de manger du porc et de baiser comme bon leur semble... J'avais déjà entendu parler du Cantique des cantiques de Salomon comme d'un poème salace. En fait c'est un vrai poème d'amour. Le plus beau que je connaisse. Il s'agit d'une histoire à deux voix... Son amante est noire... Et là on a une rencontre amoureuse entre cette femme noire, sûrement une esclave ou dans le meilleur des cas une ancienne esclave, et le plus étincelant des princes de l'Ancien Testament... La Sulamite commence ainsi son chant : "Je suis noire mais je suis belle". Ce "mais" m'est resté dans la gorge et m'a empêché, à l'époque, de goûter le plus beau poème d'amour jamais écrit... Celui qui a glissé ce poème dans le Livre saint ne l'a sûrement pas fait pour rien. Quelle provocation ! Comme ils sont niais ceux qui jugent ce livre sans l'avoir lu ! Ce qui est magnifique c'est que la jeune Sulamite ne l'attendait pas derrière un bosquet d'oliviers pour se faire sauter quand les gardes ont le dos tourné. Mais plutôt dans les draps frais du lit de sa mère. Elle invite un homme qu'elle n'a pas épousé pour venir la prendre dans le lit de sa mère.... Alors à toute vitesse vers la fin, car le Nouveau Testament ne vaut pas mieux, à part quelques miracles amusants... Tout au long de la lecture, je me demandais, avec l'impatience de mes quinze ans, comment tout cela finirait. C'est ce que va me raconter un nommé Jean qui me semblait sous ecstasy au moment de rédiger son témoignage.

Pourquoi je parle de la Bible ? Eh bien ce livre au nom duquel on mettait les autres livres à l'Index est depuis près d'un demi-siècle, d'une certaine manière, mis à l'Index en Occident. Sauf dans certains États des États-Unis(où se sont réfugiés tous les fanatiques religieux) et dans le Tiers-monde. Ce qui fait que des générations d'Européens et de Nord-Américains ne l'ont jamais lu, ignorant de ce fait la source profonde de leur culture judéo-chrétienne. On revendique son identité, ces jours-ci, face à l'islam sans avoir lu la Bible. De jeunes judéo-chrétiens incultes font donc face à de scrupuleux lecteurs du Coran. Mais ce qui est plus grave c'est qu'une grande partie des métaphores de la culture occidentale découle de la Bible, et ces métaphores sont devenues totalement obscures pour ces jeunes gens qui n'ont jamais pu mettre la main sur une Bible. Parce qu'elle est manquante dans la bibliothèque familiale. Peut-être qu'il serait temps de lever l'interdit tacite sur la Bible pour que l'arbre de Noël ne devienne pas le seul support de l'identité judéo-chrétienne.

Et un petit dernier qui m'a fait rire : L'art d'être ivre avec élégance

L'écrivain Malcolm Lowry, un soir qu'il était saoul, enfin il l'était un peu chaque soir, alors disons un soir qu'il était plus saoul que d'habitude, s'est assis dans un champ en murmurant : "Si c'est vrai que la terre tourne, alors j'attends ma maison ici."

 

 

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L
Oh oui, j'aime beaucoup la dernière citation !
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