Le livre des brèves amours éternelles d'Andreï Makine

Publié le

Encore un livre d'Andreï Makine sur la Russie, enfin plutôt sur l'URSS. Et moi qui suis toujours fascinée par les coïncidences, j'ai compris dès le début que ce roman allait me plaire, de toute façon je n'ai jamais été déçue par les livres d'Andreï Makine.

Premières lignes : "Depuis ma jeunesse, le souvenir de cette coïncidence revient, à la fois insistant et évasif, telle une énigme dont on ne désespère pas de trouver le mot."

Un jour, au début des années 80, le narrateur raccompagne un ami qui fait un détour pour, apparemment, apercevoir une jolie femme d'une quarantaine d'années. Cet ami, c'est Dmitri Ress, opposant au régime dès l'âge de vingt-deux ans, quarante-quatre ans à ce moment là, mais en paraissant quatre-vingts, suite à trois condamnations successives qui l'ont menées à quinze ans et quelques mois derrière les barbelés. "La sévérité des peines tenait à l'originalité de son credo : philosophe de formation, il critiquait non pas les tares spécifiques du régime en place dans la Russie d'alors, mais la servilité avec laquelle tout homme en tout temps renie l'intelligence pour rejoindre le troupeau. Mais pourquoi alors vous vous acharnez contre notre pays ? lui demandait-on au cours des interrogatoires. Parce que c'est ma patrie, répondait-il, et voir mes concitoyens sommeiller autour d'une bauge m'est particulièrement intolérable"... "Demain, ce régime vermoulu s'écroule, nous nous retrouvons dans le paradis capitaliste et sur ces gradins montent des milliardaires, des stars du cinéma, des politiciens bronzés... Et vous savez ce qu'il y a de plus cocasse? C'est que la foule défilera comme si de rien n'était. Car peu lui importe de savoir qui remplit les tribunes, l'essentiel est qu'elles soient remplies... Oui, au lieu de la statue de Lénine, il faudrait imaginer un play-boy en smoking. Ca se fera un jour. Et dans le défilé il y aura de nouveau ces trois catégories : des placides somnambules très majoritaires, des ricaneurs et quelques rebelles marginaux..."

Par ces extraits, au début du roman, on voit qu'Andreï Makine n'aime pas plus le régime actuel que celui de l'ancienne URSS.

Plus d'un quart de siècle après cette rencontre, le narrateur se souvient : "...me revient un pointillé de jours, remontant à mon enfance, à ma jeunesse... Etrangement, ce sont ces reflets du passé qui répondent le mieux à son intonation écorchée. Peut-être parce qu'il s'agit d'instants de tendresse très anciennement vécus, des instants d'amour que lui n'a pas eu le temps de vivre."

Et ainsi, dans toute la suite du roman, le narrateur raconte la vie en URSS : son enfance dans un orphelinat, son adolescence, mais à chaque fois à travers les filles et les femmes qu'il a rencontrées.

"L'année précédente, elles étaient venues vivre dans le hameau pour se rapprocher de l'usine où l'on pouvait croiser, pendant quelques secondes, le regard des prisonniers qui traversaient le sas entre les ateliers et les wagons."

"Ce soir-là, plus efficacement que tous les dissidents réunis, Patrick Dewaere a contribué à la chute du mur de Berlin...Beaucoup d'estivants dans cette station balnéaire passèrent la dernière semaine d'août avec en tête le nom d'un village français et de son auberge où un veilleur somnolent décrochait une clé sur un tableau hérissé de petits clous."

"Joli ! Sache, mon pauvre ami, que ce verger (seize kilomètres sur vingt-deux) est complètement improductif. Aucune abeille ne voudra se taper dix kilomètres pour voler jusqu'au centre de cette plantation délirante. Du coup, les fleurs sont privées de pollen et les arbres ne fructifient pas. Cette pommeraie idéale ne donnera jamais de pommes, elle est stérile ! Exactement comme le régime sous lequel nous avons le malheur de vivre."

Puis, trente ans après la rencontre avec Dmitri Ress, il rencontre un autre ami, Piotr Glébov, son ancien camarade de régiment, dans un restaurant de Nice, qui, grâce à ce qu'il lui raconte, "comble les dernières lacunes dans ce que je savais sur la vie de Ress." Il lui révèle qui était cette belle femme d'une quarantaine d'années aperçue lors de sa promenade avec Ress, et aussi que ce dernier est décédé six mois après.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Je sais que tu aimes particulièrement l'écriture de Makine, mais l'intrigue du roman est-elle tout aussi intéressante ? Y a t-il beaucoup d'actions dans ce livre ou est ce plus descriptif ?
Répondre
B
L'intrigue, oui on peut dire qu'elle est intéressante, mais peut-être pas dans le sens que tu l'entends. Au début, le narrateur avec Dmitri Ress voit une femme, on ne saura qu'à la fin qui est cette femme, le grand amour de Dmitri. Mais pour tout le reste, en fait, le narrateur y raconte des anecdotes de sa vie enfant, adolescent et adulte, ce qui permet de comprendre l'opposant Dmitri. C'est la vie du peuple. Aussi, on vit la vie de ce narrateur et on ne pense plus trop à cette femme du début. Mais comme apparemment Andreï Makine est anti-communiste, peut-être a t-il un peu exagéré la vie de ce peuple, même si on sait que les camps de travail existaient, qu'il y avait le culte de la personnalité des dirigeants. Ce n'est pas descriptif, il n'y a pas vraiment beaucoup d'actions, c'est de la narration.