L'oubli de Philippe Forest

Publié le

En rapportant mon précédent livre à la médiathèque, j'ai vu celui-ci sur la table des nouveautés, alors je l'ai emprunté. Il y a quelques années, j'avais lu "L'enfant éternel" du même auteur et j'avais beaucoup aimé.

Quatrième de couverture : "Un matin, un mot m'a manqué. C'est ainsi que tout a commencé. Un mot. Mais lequel, je ne sais pas." Un homme se réveille, convaincu d'avoir égaré un mot dans son sommeil, incapable de se le rappeler. Une idée s'insinue dans son esprit et prend bientôt l'allure d'une obsession : son langage se défait, sa vie se vide à mesure que les souvenirs se détachent de lui. Un homme - peut-être le même, peut-être un autre - observe l'océan depuis sa fenêtre. Une brume perpétuelle recouvre l'horizon, au loin il s'imagine distinguer une forme qui lui fait signe et qui l'appelle. L'histoire se dédouble - à moins qu'il ne s'agisse de deux histoires différentes dont demeure mystérieux le lien qui les unit. Tandis que les mots et la mémoire s'abîment dans un même précipice, l'univers recouvre amoureusement l'apparence splendide indispensable pour chacun au recommencement de l'existence.

Dans la veine de ses deux précédents romans, Le chat de Schrödinger et Crue, mais en restant fidèle à l'expérience qu'il a posée au principe de tous ses livres depuis L'enfant éternel et Sarinagara, Philippe Forest propose au lecteur une fable insolite, qui enseigne, comme l'a écrit un poète, que la nuit recèle en son sein le plaisir et l'oubli, qui sont les deux seuls secrets du bonheur.

Ce roman est double, il tient presque de l'essai lorsqu'il réfléchit sur la perte des mots, et vraiment du roman lorsqu'il raconte ses rencontres avec sa propriétaire - libraire et celle d'une jeune femme sur la plage alors qu'il prend des photos de l'océan. Jeune femme qu'il retrouvera à la librairie. Et puis, il y a aussi ce tableau de l'océan dans la chambre peint par l'ancien locataire (la raison des photos). La jeune femme lui fournira toutes les explications sur ce tableau (elle a connu le peintre).

Qu'ai-je pensé de ce roman ? Certainement la même chose que l'auteur. Car lui-même raconte à la fin que la libraire lui a donné un jour un roman d'un écrivain connu qui n'avait pas eu un grand succès. Et ce roman c'est celui-là ! Donc je vais vous mettre de longs extraits de la fin.

"Pour ma part, j'étais incapable de décider si le roman était bon ou mauvais... Chacun se forme l'opinion qui vaut pour lui et dont il serait assez absurde de vouloir l'imposer à autrui... Et puis j'imaginais que faire un livre devait être quelque chose d'assez fatigant et de plutôt compliqué. S'il avait été de bonne foi, il n'était jamais juste d'accabler l'auteur qui l'avait écrit et qui, souvent, devait être le premier mécontent de ce à quoi il avait abouti et qu'il n'avait pas prévu, dont il se considérait comme à peine responsable. En tout cas, bon ou mauvais, il y avait quelque chose d'étrange dans ce roman. Il paraissait assez différent de tous les autres... Il avait dû être le premier étonné de ce qu'il avait fait et qu'il ne comprenait sans doute qu'imparfaitement. Je concevais qu'une telle étrangeté pouvait décevoir, irriter. Le livre, certainement était tombé de la plupart des mains... Les lecteurs prenaient comme un affront personnel, une offense faite à leurs convictions, presque un blasphème, qu'on leur présente comme un roman un livre qui, visiblement, n'en était pas un à leurs yeux. Sans aucun doute, c'était le cas de celui-là... L'intrigue était inexistante, dotée de plus d'une vraisemblance fort douteuse. Passé le milieu du livre, elle se délitait complètement et tournait à une sorte de méditation passablement abstraite à laquelle l'auteur lui-même ne paraissait pas croire et dont il n'avait pas l'air de savoir où elle le mènerait (c'est la partie que je n'ai pas aimée et je me disais j'espère que ça ne va pas être comme ça jusqu'à la fin)... Naturellement, tombés sous le charme absurde de ce récit, nous (l'homme et la jeune femme) nous étions demandé quel était ce mot dont parlait l'auteur, qui manquait à tous, dont chacun s'imagine qu'il est le seul à ne pas le connaître et qui, quelle que soit l'apparence variable qu'il prend pour l'un, est pourvu d'une signification semblable pour lui... Nous nous étions mis en tête de le découvrir... Lisant le livre comme on s'essaye à deviner le nom du criminel dans un roman policier... La solution de l'énigme n'était jamais donnée au lecteur. Sans doute n'était-elle même pas connue de l'auteur... J'ai beaucoup de bonnes raisons de quitter l'île... La belle saison est revenue... les paysages de brume et de pluie que j'y ai d'abord découverts. Ils me paraissent appartenir à un rêve. Comme tout le reste de l'histoire que j'ai vécue ici. Le navire a atteint sa vitesse de croisière... J'ouvre le livre. J'en reprends la lecture au début. Comme si, mystérieusement, il s'agissait de mon propre roman et qu'il annonçait ce qui désormais m'attend, que je redoute et que j'espère en même temps. Me disant que vivant à mon tour l'aventure qu'il relate, même s'il me faut pour cela m'abandonner au délire qu'il décrit, j'aurai peut-être une chance de comprendre un jour enfin ce qu'il signifie et de deviner le mot dont il parle."

En tout cas, je me suis dit "chapeau". Il réussit à écrire plus de deux cents pages avec comme fil conducteur "un mot qu'il a perdu dans son sommeil ! Eh oui, je l'ai lu jusqu'au bout en espérant aussi trouver ce mot perdu. Etrange ce roman, mais j'ai bien aimé. Je pense qu'à un moment lorsqu'il parle des souvenirs, des personnes qu'on a aimées et qui ont disparues, il doit repenser à sa fille pour laquelle il avait écrit "L'enfant éternel".

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
J'ai lu il y a quelques temps un essai de Philippe FOREST, mais ça ne m'avait pas emballé...
Répondre
1
Ce genre de livre, atypique, je pense que c'est soit formidable d'imagination et de poésie soit complètement tiré par les cheveux et déstabilisant. Un peu des deux donc celui-là?
Répondre